Le
constat est unanime. L’occupation anarchique de l’espace public est un fait. Le
quartier de « Difoncé » situé vers Dakar Plateau en est une parfaite
illustration. Une colonne de cars rapides garés le long de la route, des
tabliers occupant les trottoirs et les piétons circulant dangereusement sur la
chaussée côte à côte avec les véhicules, tel est le décor de cette rue tant
fréquentée. Assis sur un banc, non loin des bus tata, les yeux rouges, une
bouteille de jus de bissap à la main, Issakha se désole de cette situation.
« Le stationnement anarchique des voitures sur les trottoirs est juste
insensé. Je ne comprends pas pourquoi les autorités ne prennent pas leurs
responsabilités pour les déguerpir » dénonce-t-il. Le pire reste les
conséquences sanitaires qu’engendre cette anarchie. Si on se tient aux propos
de nos interlocuteurs, la fumée dégagée par les voitures pollue l’air et la
plupart de ceux qui fréquentent les lieux souffrent de maladies pulmonaires.
« Chaque jour, à ma descente, je suis obligée de boire du lait, sinon je
ne pourrais pas dormir tranquillement » nous confie une vendeuse de
fruits. Pour pallier ce problème, les autorités municipales ont déployé sur le
terrain des agents chargés de mettre des sabots de Denver sur les roues des
voitures males stationnées et de faire payer des amendes à leurs propriétaires.
Toutefois, cette mesure manque d’efficacité car ne pouvant pas atteindre toutes
les artères de la ville. Interrogée sur le sujet, la mairie de Médina a allégué
un « manque de moyens » notoire qui freine leurs politiques de
déguerpissement des occupants de la voie publique. Selon Mme Doucouré,
conseillère municipale, « L’acte 3 de la décentralisation en est la cause ». La
situation ne tombe pas du ciel. La principale raison reste la croissance de la
population dakaroise qui entraîne une augmentation du parc automobile. Selon
l’Agence National de la Statistique et de la Démographie (ANSD) Dakar comptent
près de 375.000 voitures, c’est-à-dire 2 sur 3 au niveau national.
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Marché HLM |
L’avenue
Cheikh Anta Diop présente le même désordre. La devanture de l’Université (en
face de la Brioche dorée) est occupée par des marchands qui en ont fait un mini
marché. Ici les passants partagent la chaussée avec les véhicules faute de
trottoirs qui sont occupés par les commerçants. Du coup, les automobilistes se
voient obliger, à chaque fois, de freiner pour permettre aux piétons de
traverser la route. C’est d’ailleurs ce qui est à l’origine des multiples
embouteillages notés sur cet axe, surtout aux heures de la descente. Interviewé
sur la question, un étudiant nous met dans une autre piste en nous signalant le
cas des cérémonies religieuses qui s’organisent au sein du campus social de
l’université et qu’il considère comme étant de l’anarchie. C’est aux environs
de 12h que nous nous sommes rendus vers le pavillon A de l’université pour la
constater. Déjà à cent mètres, nous percevions des chants religieux qui
résonnent dans les alentours. Les sonorités s’amplifient au fur et à mesure que
nous nous approchions du pavillon. Arrivé au premier étage, on aperçoit un
cercle de jeunes vêtus de grands boubous, les têtes baissées sur des livres
avec des écritures arabes. La main collée à l’oreille, un d’entre eux dirige le
chœur en haute voix. Tout le bâtiment résonnait ainsi aux rythmes de ces
incantations. Les autres faisaient des va et vient sans jeter un regard
particulier au groupe, comme s’ils étaient habitués à cette scène. Interrogé
sur le sujet, un des fidèles justifie leur acte par une nécessité de « manifester
leur croyance et de vivre leur religion au quotidien ». Toutefois, le
bonheur des uns semble faire le malheur des autres. Rencontré au
rez-de-chaussée, John, vêtu d’une culotte et d’un débardeur avec un air
renfrogné, nous confie son désaccord par rapport à ces cérémonies religieuses
organisées au sein des pavillons. «J’étais en train de dormir comme ça et ils
m’ont réveillé. C’est vrai que c’est leur religion, mais ils doivent quand même
prendre en compte le milieu dans lequel nous sommes » se désole-t-il. Dans ce milieu universitaire,
il est noté un certain laisser-aller favorisant une banalisation des cas
d’occupation anarchique de l’espace.
Pourtant
des règles ont été édictées pour réguler l’occupation de l’espace public en
général. C’est à l’exemple de la loi 74-13 du 24 juin 1974 qui régit les
manifestations sur la voie publique et la loi 78-02 du 29 janvier 1978 relative
aux réunions publiques. Ces deux lois garantissent la protection de l’ordre
public et le respect des libertés publiques.
Aux
termes des dispositions de l’article 96 du code pénal, les réunions sur la voie
publique sont interdites. Cependant, le même article prévoit que toutes les
manifestations sur la voie publique doivent être soumises à une déclaration
préalable 3 jours francs au moins et 15
jours au plus avant la tenue de la manifestation. Cette déclaration doit être
adressée à l’autorité administrative chargée de l’ordre public. Dans cette
armada réglementaire, nous pouvons noter la création du Programme National de
Lutte contre les Encombrements (PNLE). Ce programme créé par la loi de Finance
2007 est rattaché au Secrétaire général du Ministère de l’Urbanisme et de
l’Habitat. Selon Mounirou Ly, directeur du programme, « Le PNLE a pour
missions de veiller au respect des lois et règlements en matière d’occupation
de l’espace public, d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie nationale de
lutte contre les encombrements, d’appuyer les collectivités locales dans la
gestion de l’espace public y compris la mise en œuvre de la police des
encombrements ». Toutefois, il faut noter qu’il y a un certain laxisme
noté dans l’application de ces lois et règlements pour lutter contre ce
phénomène.
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