mercredi 11 avril 2018

Les communicateurs traditionnels dans les médias : intrus ou acteurs incontestables ?



Crédit photo: Pikini production
Le constat est unanime, le sérail des médias est aujourd’hui truffé de communicateurs traditionnels. Ces derniers spécifiques de par leurs manières de communiquer et leur autonomie dans leurs interventions, ne sont plus à minimiser, ils s’imposent de plus en plus dans les médias sénégalais. Sont-ils les bienvenus ? Quels rôles jouent-ils dans les médias ? Sont-ils indispensables de nos jours ? Entre autres interrogations ont été abordées hier lors d’un panel organisé à l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) de Dakar.

Toute personne douée pour la communication médiatique se voit aujourd’hui comme un communicateur. Cette large définition du mot laisse une brèche ouverte à toute personne désireuse d’exercer une telle tâche. C’est certainement par cette brèche que sont entrés les « communicateurs traditionnels » dans le milieu médiatique. L’origine d’un tel vocable est très discutable mais, la constante est qu’il a été inventé en 1990 par l’UNICEF. C’est dans le cadre d’une campagne de sensibilisation pour un programme élargi de vaccination que cette organisation a fait recours à ces personnages pour vulgariser son programme. Ils sont à la base des médiateurs sociaux qui se différencient des griots. En effet, tout griot n’est pas communicateur traditionnel et vice-versa.

Concernant leur immixtion dans le monde médiatique, elle date de très loin. Déjà en 1973, on ressentait leur présence dans les radios par le biais d’émissions culturelles et récréatives. Toutefois, vers 1990, avec l’arrivée des médias privés, on assiste à un essor du paysage médiatique. Ainsi, ces nouveaux groupes voulant innover en instaurant des programmes en continu, se heurtent à un déficit de ressources humaines et financières. Par conséquent, ils étaient obligés de faire appel à des animateurs qui ne demandaient pas une forte rémunération et avaient le don de capter l’attention des auditeurs ou téléspectateurs. C’est en ce moment qu’on voit réapparaître les communicateurs traditionnels non pas comme des diffuseurs de message de sensibilisation, mais soit comme des intervenants dans les émissions soit comme des animateurs. Ainsi, pour meubler les plages horaires, les médias ont initié des émissions en langues locales dans lesquelles, les communicateurs traditionnels étaient plus à l’aise d’autant plus que les journalistes n’étaient pas trop destinés à ces genres de programmations. Ces personnages sont présents dans certains pays de la sous-région, mais leur forte présence dans les médias au Sénégal est une exception. N’ayant pas fait des études en communication, ils n’imposent pas généralement à leurs employeurs un contrat de prestation afin de s’assurer de la rémunération de leurs interventions. Sur ce, ils ne cessent de porter des panégyriques à l’endroit de certaines personnes qui en retour les donnent des sous et des cadeaux de grande valeur. Raison pour laquelle, ils ne se plaignent pas de ne pas être des salariés dans les médias dans lesquelles ils interviennent. Ces médias deviennent pour eux des canaux qui les permettent de faire passer leurs messages ou de louer leurs « géer » (nobles). C’est ce qui d’ailleurs, en grande partie, devrait les différencier des journalistes qui en aucun cas ne sont habilités à chanter les louanges de quiconque ou à recevoir des sous dans le cadre de leur travail. Ce qui pose d’ailleurs la question des "per diem" qui commencent à être légitimés dans le cercle médiatique sénégalais. A l’image des communicateurs traditionnels qui demandent les frais de transport à la fin de certaines cérémonies, certains journalistes entrent dans ce jeu du donnant donnant contraire à la déontologie prônée par le métier.

L’existence de ces communicateurs traditionnels a pour effet la démystification du métier de journaliste d’autant plus qu’on retrouve aujourd’hui ces personnages dans la présentation des journaux télévisés en langues nationales ou dans les revues de presse. Ainsi comme dit M. Moustapha Mbengue, professeur à L’EBAD : « La tendance dans la presse sénégalaise s’oriente vers un mimétisme des journalistes par rapport aux comportements des communicateurs traditionnels ». Etant plus présents dans les médias, ces communicateurs sont devenus les chouchous du public qui se retrouve plus dans leur manière de faire étant donné qu’ils ne sont régis par aucun code de déontologie et ne se soucient guère de l’éthique qu’on prône dans le journalisme.

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